La "sympathique anarchie" qui règne sur Internet
ne l'a pas empêché de devenir un outil indispensable
au chercheur. A côté des avantages évidents
que ce système apporte en ce qui concerne la facilité
et la rapidité des communications, il faut reconnaître
que c'est un redoutable instrument d'intrusion dont on ne se méfie
généralement pas assez. Les problèmes de
sécurité et de confidentialité ne pouvant
pas, légalement, se résoudre dans tous les cas par
l'emploi de la cryptologie, il faut que chaque utilisateur prenne
conscience des risques qu'il court en communiquant par missive
non cachetée et en confiant ses travaux à des fichiers
sans verrou.
En outre, dans le domaine proprement scientifique, comme dans celui de la gestion, les entités du CNRS qui créent, administrent ou alimentent des bases de données de quelque nature que ce soit doivent entreprendre sans délai une réflexion sur l'adéquation des conditions d'accès à la nature et à la sensibilité des informations qu'on y trouve.
Mais la sécurité du système d'information ne concerne pas que les réseaux. L'utilisateur isolé n'est pas à l'abri du vol, de la perte ou de l'altération de ses données, que ce soit par insouciance de sa part ou du fait de la malveillance d'autrui. Aussi, chacun, à son niveau, doit-il se sentir concerné par l'effort commun pour rendre notre système d'informations plus sûr.
C'est pourquoi les actions initiées en 1994 seront poursuivies et intensifiées en liaison avec nos partenaires de l'Enseignement supérieur.
Guy Aubert
Directeur Général du CNRS
Le virus qui grattait la disquette |
- Docteur, j'ai la disquette qui gratte.
- ???
- Oui, lorsque j'utilise sur mon PC mon traitement de texte préféré,
Word 6 de Monsieur Microsoft, et que j'ouvre un fichier situé
sur mon disque dur, la petite lampe du lecteur de disquette s'allume
et, qu'il y ait ou non une disquette présente, ça
essaie de lire (ou d'écrire ?).
- D'autres symptômes ?
- Pour tout vous dire, il arrive parfois, quand j'allume ma machine,
que l'écran se remplisse d'un même caractère
ressemblant à un E majuscule arrondi.
- Ah, je vois ! N'utiliseriez-vous pas un logiciel... disons :
"emprunté pour évaluation" ?
- Que nenni, Docteur, je suis un utilisateur honnête et
voici d'ailleurs la preuve que je l'ai acheté le plus régulièrement
du monde.
- Dans ce cas, avouez que quelqu'un vous a communiqué un
autre programme, obtenu par des voies incertaines et que vous
utilisez régulièrement.
- A;bsolument pas, Docteur, je suis très respectueux de
la Loi, tous mes logiciels commerciaux ont été achetés
et j'ai payé la somme demandée par l'auteur de tous
mes logiciels en shareware.
- Vous êtes vraiment un cas rare ! Alors, jamais de copie
d'un fichier exécutable à partir de disquette ?
- Jamais !
- Etes vous connecté à un réseau, local ou
distant ?
- Non.
- Quelqu'un vous a-t-il, plus ou moins récemment, procuré
des fichiers de données sur disquette ?
- Oui.
- Les avez-vous utilisés ?
- Oui, mais...
- N'en dites pas plus, j'ai tout compris ! Il a bien dû
vous arriver, un jour où l'autre, d'oublier cette disquette
dans votre ordinateur après l'avoir éteint ?
- C'est bien possible.
- Et, lorsque vous avez rallumé plus tard votre PC, vous
avez obtenu un message vous disant que cette disquette n'était
pas amorçable ?
- C'est vrai, comment avez-vous deviné ?
- Elémentaire, mon cher ami ! Le virus - car vous avez
attrapé un virus - était dans le secteur de boot
de la disquette, attendant que vous ayez oublié de la retirer
de votre machine. Il a suffit que vous allumiez une seule fois
votre PC avec la disquette oubliée dans son lecteur pour
que le virus aille s'installer sur votre disque dur d'où,
maintenant, il dispose d'un camp retranché à partir
duquel il lance ses attaques malignes. Les spécialistes
appellent ça un 2KB, un GenP ou un GenB selon la souche.
- Et c'est grave, Docteur ?
- &laqno;a peut le devenir, si vous ne vous soignez pas. Je vais
donc vous faire une ordonnance à base de Clean du
Professeur McAfee. Vous en ferez une application sur votre
disque dur et sur toutes vos disquettes (on ne sait jamais...).
Mais ne gardez pas ce médicament dans votre armoire à
pharmacie car il risque de perdre de son efficacité avec
le temps. Il apparaît sans cesse de nouvelles sources de
virus contre lesquelles il faut des traitements spécifiques,
les anciens remèdes ayant perdu tout ou partie de leur
efficacité.
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Devant l'inquiétude grandissante que suscitent les incidents de sécurité survenant à l'occasion de l'utilisation de moyens informatiques, un certain nombre de réflexions se sont organisées autour des moyens à mettre en oeuvre pour accroître la sécurité des systèmes d'information. Comme il est plus facile de balayer devant sa porte que d'aller voir ce qui nous menace de l'extérieur, il est apparu bon d'instaurer localement un code de bonne conduite qui serait signé par chacun des utilisateurs d'une installation informatique. Ainsi est née l'idée de charte de l'utilisateur.
Ne dramatisons pas ! Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête à tout instant. Mais ne glissons pas non plus dans l'angélisme : tout le monde il est beau... La maladresse, le dégât des eaux (la fin janvier nous a montré, hélas, combien il était réel et destructeur), le vol, la malignité, l'intérêt commercial, l'intérêt scientifique, la malhonnêteté, le vol pur et simple, le vandalisme,... pêle-mêle, voilà un échantillonnage de ce qui nous guette. "Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés". La Fontaine ne croyait pas si bien dire, et les plus malins qui découvrent (ô surprise !) un virus dans leur machine ne le crient généralement pas sur les toits.
Par définition, c'est le responsable d'un laboratoire qui est aussi le responsable de l'usage qui est fait des outils informatiques de son labo. Cette responsabilité couvre deux domaines : le respect de la législation régissant les documents informatisés et le souci d'instaurer un niveau correct de sécurité. Lourde tâche et qu'il ne pourra accomplir que si chacun y met du sien, c'est-à-dire souscrit à des règles minimales de courtoisie et de respect d'autrui.
A priori, tout utilisateur habituel ou occasionnel de moyens informatiques, que ceux-ci soient locaux ou distants. Actuellement, c'est surtout dans les Universités que cette charte est apparue nécessaire, et cela, pour une raison évidente : le renouvellement constant de la population d'utilisateurs (en majorité des étudiants) et leur esprit ludique bien connu. Mais nos laboratoires accueillent, eux aussi, des stagiaires : étudiants, chercheurs, contractants, etc. On ne voit donc pas pourquoi nous ne suivrions pas les mêmes (bonnes) habitudes que nos collègues de l'Université.
C'est très variable. La longueur du document lui-même varie en conséquence d'un feuillet recto-verso à un petit cahier d'une demi-douzaine de pages. L'esprit dans lequel ont été rédigées ces chartes présente des analogies tantôt avec la facture du plombier, tantôt avec une police d'assurance (les fameux "petits caractères" !), tantôt avec les dix Commandements.
Pour l'auteur de ces lignes, les meilleures chartes sont les plus courtes, tout simplement parce qu'elles vont droit au but, ne se noient pas dans le détail et qu'elles sont faciles à comprendre, donc à approuver. Les règles de conduite qui sont proposées doivent relever avant tout du bon sens et traduire le respect de l'utilisateur, considéré comme une personne sensée et responsable. Il ne s'agit pas de pratiquer des besognes de basse police mais, sans menacer l'utilisateur des foudres de la justice, on peut lui rappeler les risques qu'il encourt. Inutile de citer des articles entiers des Lois et Décrets que tout un chacun peut (devrait pouvoir ?) se procurer par ailleurs. Mais rien n'empêche de donner les références des textes applicables. Il ne faut pas chercher à prévoir tous les cas de figure. Ce qui paraît exhaustif aujourd'hui semblera périmé dans un an. On n'est pas en train d'écrire un programme d'ordinateur; on parle à des gens et non à des machines ! Et si tout cela est présenté avec une pointe d'humour, cela n'en sera que mieux.
Nous avons étudié une douzaine de chartes de différentes provenances et nous avons cherché, après en avoir dégagé les facteurs premiers qui en constituaient le commun dénominateur, à aboutir à un document de synthèse qui va faire l'objet d'une étude approfondie par chacun de nos correspondants régionaux dans les mois qui viennent. Trois consignes sont imposées au document final :
Voici l'essentiel de ce texte, en vous rappelant qu'il ne s'agit, pour l'instant, que d'un document de travail. Nous serions heureux, à cet égard, de recevoir de votre part les remarques que sa lecture peut vous inspirer.
Je soussigné(e) . . . . . . . . . . . . certifie
avoir pris connaissance des règles de bonne conduite énoncées
dans le présent document et son annexe et m'engage à
m'y conformer strictement.
A.............., le................
(signature à faire précéder de la mention
manuscrite "Lu et approuvé")
Annexe : conditions locales particulières..
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Rappelons que la loi du 5 février 1994 a durci les peines encourues par les contrevenants, les entreprises pouvant se voir infliger des amendes dont le montant peut atteindre 5 millions de francs.
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On se rappelle sans doute cet avatar de la série des James Bond faisant allusion à la pérennité de ce moyen de conserver son patrimoine financier. En matière de patrimoine scientifique, le problème est bien plus difficile à résoudre, principalement - paradoxe - en raison des progrès constants de l'informatique.
Une amie astronome m'a récemment demandé si je savais où elle pourrait convertir quelques bandes magnétiques 800 bpi contenant des données d'archives. Après beaucoup de recherches et d'appels téléphoniques, on finit par découvrir qu'à la station de radioastronomie de NanÁay, il semblait subsister un matériel capable de relire ces bandes et disposant également de périphériques pouvant réécrire l'information sous une forme plus actuelle (bandes 6 200 bpi, disques magnéto-optiques, cassettes DAT...).
On estime généralement à 5 ans la durée de vie des supports magnétiques soigneusement conservés. Autrement dit, on espère que la magnétisation résiduelle sera encore dans les tolérances qui permettront, alors, de reconnaître un 1 d'un 0. C'est peu !
Des supports plus modernes, comme le CD-ROM, paraissent bien à l'abri de toute perte de signification. Mais, depuis une vingtaine d'années qu'existe ce media, peut-on estimer que la structure moléculaire de la matière plastique utilisée le met à l'abri de tout phénomène de vieillissement, cause de dégradations ?
Et, même si ce problème ètait résolu, il reste d'autres points à vérifier avant de parler d'éternité. Il est, actuellement, presque impossible de trouver des lecteurs de disquettes 8 pouces. Les lecteurs 5 pouces se raréfient. Et, même si on trouve un mécanisme d'entraînement, encore faudra-t-il savoir quel "standard" était utilisé (nombre de pistes, densité, recto, verso...). Et même alors, saura-t-on déchiffrer la structure logique des informations présentes ? Quand on se rappelle la multiplicité des formats logiques (plus d'une cinquantaine) inventés pour CP/M, ce prestigieux système d'exploitation des années 70, combien d'essais devra-t-on opérer avant de retrouver les informations significatives et dans le bon ordre ? Le salut viendrait-il des disquettes 3,5 pouces ? Sûrement pas : entre le MAC, MS-DOS et feu l'Amiga, que de divergences dans les systèmes d'enregistrement physique et logique !
Supposons résolus les problèmes de la lecture physique et du décodage logique des blocs. Reste maintenant le formatage des données. Prenons le cas le plus répandu : celui du traitement de texte. Les malheureux qui, vers 1986, ont cru en Sprint, feu le traitement de texte de Borland, risquent de se trouver bien handicapés. Alors, doit-on conserver, sur le même support que celui des données, le logiciel qui permet de les relire ? Quel encombrement ! Quel gâchis ! Car il n'y a pas de raison de s'arrêter en si bon chemin, et il faudrait aussi conserver une version du système d'exploitation. Et, pourquoi pas aussi, un ordinateur capable de faire marcher le tout ?
D'ici 100 ans, lorsqu'on retrouvera une pile de disquettes 3,5 pouces dans un grenier, les considérera-t-on comme des jouets et s'en servira-t-on pour faire des ricochets ? Si elles sont étiquetées, probablement pas car il semble que l'écriture ou tout ce qui n'est pas machine readable représente encore ce qui résiste le mieux aux injures du temps (en ignorant les pierres gravées qui, depuis la Haute Egypte, ont néanmoins prouvé un sûr pouvoir de conservation de l'information).
Je ne prétend pas proposer de solution. Le lecteur intéressé par le sujet pourra se reporter à l'article écrit par Jeff Rothenberg dans Scientific American de janvier 1995 (Ensuring the Longevity of Digital Documents). Nous serions satisfaits si ceux qui nous ont lu ajoutent à leurs précautions de sauvegarde régulières et périodiques une réflexion à plus long terme sur les moyens de préserver le patrimoine scientifique qu'ils légueront ¦ leurs descendants.
Y.F.