Trousse de secours
Auteur : Rafale Papier
Zine : Rafale #19bis
Cuisine tes médocs
Dans le village où je vis, le dernier bar a fermé – selon le grand-père, le bled
en comptait encore trois il y a pas si longtemps. L'épicerie a baissé le rideau,
la mercerie aussi, et c'est la même chanson pour la boulangerie. Par contre, il
y a deux commerces qui sont en pleine forme, visités au quotidien par toutes les
générations, à tel point qu'on y fait la queue : les pharmacies. Ces petites
entreprises qui ne connaissent pas la crise participent d'une société
industrielle avare de fric. Il est pourtant facile d'éviter d'y avoir recours,
au moins en ce qui concerne la parapharmacie,
la bobologie et les petits ennuis de santé.
Déprimé, légèrement blessé, fatigué, enrhumé ou souffrant d'une simple gueule de
bois ? Bim ! Le cachton. Comme tout le monde, tu as déjà craqué pour le commode
TGV (Tu Guéris Vite) : une molécule chimique, et ça repart... Pas tellement le
choix : tu ne connais rien aux plantes et les « recettes de grandmère
» se sont faites la malle depuis longtemps.
Mais la grand-mère – justement - voyait autre chose que de simples étendues
vertes quand elle se promenait dans les chemins. Elle ne disait pas « l'herbe »,
d'ailleurs, mais « les plantes ». Tout en causant de l'ancien temps à son
clébard Noisette, elle ramassait quelques trucs - des feuilles, des fleurs, des
racines. Elle avait l'habitude de dire : « Entre moi et le médecin, va savoir
qui est malade » - et quand il débarquait à la maison, Noisette s'occupait de
ses gambettes... Bref, elle avait plus d'une corde à son arc, la mère-grand.
Voici un infime extrait de ses connaissances, résumées en une petite trousse de
pharmacie qui dit
« Nique la pharmacie »
Avant tout, il faut savoir que la plupart des plantes médicinales qui poussent
sous nos latitudes se cueillent au printemps. À partir de la mi-mars, pense à
surveiller le stade de développement de la plante ; c'est un petit réflexe à
prendre, voire même un passe-temps utile quand tu conduis ta voiture ou
que tu attends le bus.
Dans la plupart des cas, tu seras amené à sécher les plantes pour les utiliser.
Étale-les sur du papier non imprimé, sans les superposer, dans une pièce peu
lumineuse et aérée. Il faut réellement qu'elles sèchent, alors évite de les
mettre dans la cave, vise plutôt le grenier. Si tes plantes perdent leurs
couleurs et virent au marron, c'est que tes conditions de séchage ne sont pas
bonnes.
Beaucoup de remèdes se prennent en infusion : il faut faire bouillir l'eau, la
retirer du feu, y incorporer les plantes et attendre dix à vingt minutes pour
profiter au max des propriétés. Autrement, aie recours aux macérâts huileux -
place la plante dans un pot en verre transparent fermé de gaze à l'aide d'un
élastique, recouvre-la d'huile végétale et laisse-la macérer au moins trois
semaines au soleil avant de la filtrer. Si tu peux, utilise de l'huile de sésame
(ce n'est pas donné, il vaut mieux la chourer) : elle pénètre mieux.
Surtout, prend garde de ne pas te tromper : certaines plantes sont toxiques. Si
tu veux éviter d'avoir à t'administrer un lavement d'estomac DIY, voire d'y
laisser ta peau, on te conseille de voler un livre un peu sérieux sur le sujet,
avec des photos de plantes ou de bonnes illustrations pour faire tranquillement
tes petites vérifications. C'est d'autant plus indispensable qu'on ne va pas
effectuer un descriptif de chaque plante dans cet article, histoire qu'il ne
vire pas à l'interminable roman.
Il existe plein de compositions possibles, en variant les plantes selon les
symptômes. Mais celles citées ci-dessous ont l'avantage d'avoir été documentées,
testées et expérimentées dans nos propres laboratoires, sur nos cobayes : nous-
même. Nous avons essayé de rester simple et de faire appel essentiellement à des
plantes répandues. L'idée : viser de bons résultats sans trop de fioritures.
Dans tous les cas, n'oublie pas qu'il ne s'agit pas d'une puissante molécule
chimique - les effets sont moins rapides et un peu plus léger. Sois patient et
attend-toi à une amélioration plutôt qu'à un miracle.
LABELLO
Les bourgeons de peupliers sont à la base de cette recette. Ils contiennent en
effet de la propolis, la matière chanMé que recueillent les abeilles pour bâtir
leur ruche puis la garder propre. Il s'agit d'une sorte de nectar avec pleins de
propriétés chouettes. Lorsque tu cueilleras les bourgeons, tu verras qu'il se
forme sur ta main un dépôt collant marron clair. Voilà la propolis. Tu peux même
goûter - pas mauvais, n'est-ce pas ?
C'est à la mi-mars qu'il faut récolter les bourgeons de peupliers, ces grands
arbres longilignes qui poussent souvent au bord des rivières. Le bourgeon doit
être gros mais pas encore éclos. Avec ta récolte, confectionne un macérât
huileux (cf. intro), puis filtre-le. Au bain-marie, mélange ensuite l'huile
récupérée avec de la cire d'abeille (9 à 12 % de cire par rapport à l'huile
selon la texture désirée). Chauffe le tout jusqu'à ce qu'il devienne homogène et
verse-le dans des petits pots. Laisse refroidir. Hopopop ! Voilà ton labello DIY
prêt à être utilisé.
REMÈDE À LA GUEULE DE BOIS
Si tu as un pet' au casque après une bonne cuitasse, c'est que ton cerveau
manque d'eau et surtout que ton foie a pris cher. Pour que ça aille mieux, on te
recommande de boire trois fois par jour une infusion à base de menthe poivrée et
d'aigremoine. La première, qui se cultive aussi bien dans le jardin que sur une
fenêtre, te stimulera et aérera ta petite tête ; la seconde fera du bien à ton
système gastrique. Ces deux plantes se cueillent à partir de la mi-printemps.
Si tu sors de quelques nuits endiablées et que tu te sens prêt à t'abstenir de
picoler pendant quinze jours, tu peux carrément procéder à une cure de
fumeterre. Le traitement est simple : le fumeterre kärchérise le foie, il suffit
de boire un litre d'infusion par jour – pendant deux semaines au maximum et sans
jamais boire d'alcool (ça reviendrait à fumer une bonne clope après un long
footing). Les plus coquets seront ravis d'apprendre que la cure fait du bien au
teint – ta peau le vaut bien...
DRILL
Ici, c'est le plantain qui fait tout le taf : il désinfecte la gorge (le miel,
quant à lui, sert à adoucir ta potion). Tu n'auras aucun mal à en dégoter : le
plantain est très répandu, on en trouve même sur les stades de foot. Il suffit
de cueillir les feuilles avant la poussée de la fleur, puis de couper cellesci
en petits morceaux que tu fais macérer dans un pot de miel liquide, protégé de
la lumière. Les plus perfectionnistes filtrent ce mélange au bout d'un mois pour
ne garder que le miel ; on s'est abstenu de cette dernière étape sans constater
de perte d'efficacité.
Les indications d'usage ? Facile : avale ce miel (en le gardant un moment en
bouche) chaque fois que tu as la gorge irritée et enflammée, que c'est Fukushima
sur ta glotte. Posologie : quatre à six fois par jour.
BIAFINE
Tu vas ici utiliser le millepertuis, pour confectionner une huile dont tu te
serviras comme onguent. Si tu essaies d'écraser ces fleurs (qui sont très
répandues et se récoltent tout l'été) entre tes doigts, tu obtiendras une
substance rouge – c'est elle que tu vas capturer avec un macérât huileux et qui
donnera à ton huile sa belle couleur rouge. Une fois que tu as filtré le
macérât, stocke l'huile dans des bouteilles en verre opaque ou teinté. Une
bouteille de vin et son bouchon en liège feront très bien l'affaire. Cette
préparation est excellente pour la peau, elle soulage brûlures et coups de
soleil ; mais attention, c'est une substance photosensible, il ne faut pas
s'exposer au soleil après application. Bonus supplémentaire, elle constitue
aussi une excellente huile de massage et possède des propriétés apaisantes et
anxiolytiques.
PROZAC, XANAX ET ALL THIS SHIT
Il n'est évidemment pas question d'atteindre la puissance d'une telle came. Ni
de prétendre y constituer une alternative en cas de dépression lourde. Mais
voici une excellente recette pour les petites déprimes et les passages à vide –
tiens bon la barre dans les phases de creux et serre les dents dans ton plumard.
Tu dois donc mélanger :
- Des feuilles et fleurs d'aubépines
- Du houblon (qui - soit dit en passant - a des toutes petites « propriétés
cannabiques », comme disent les médecins)
- Des fleurs de tilleul
- De l'aspérule odorante
- De la valériane
- De la verveine
- De la lavande
- Du serpolet
- De la camomille romaine
Tu n'es pas obligé de tout avoir, un seul peut être efficace. On te propose là
une sorte de « cocktail de la mort qui tue » mais tu peux le composer à ta
guise.
Il faut boire tout ça en infusion, à volonté. Comme dit plus haut, ce n'est pas
le miracle absolu mais ça amorce correctement le taf. Si tu prends en plus le
temps de faire quelques exercices de respiration, les abysses devraient reculer.
APAISYL
Pour les démangeaisons de moustiques, fourmis, puces et autres insectes dits
nuisibles, frictionne la zone irritée avec des feuilles de plantains. Ou encore,
passe-y du jus de citron (à l'aide d'un coton). Ça devrait aller mieux. Il
paraît aussi que le suc de poireau marche bien - on attend la prochaine piqûre
pour valider...
DOLIPRANE
Il existe de nombreuses plantes à même de te soulager d'une légère fièvre ou de
douleurs ; on en retiendra deux ici. La fleur de sureau, qui s'attaque au mal de
tête. Et la reine des prés, qui possède (entre autres) des propriétés
analgésiques. Dans les deux cas, absorbe-les en infusion - un grand bol trois à
quatre fois par jour.
JUVAMINE
C'est l'hiver, la déprime montre le bout de son nez et le corps fatigue.
Plusieurs « remèdes de grandmère » peuvent t'aider à passer ce cap – ces plantes
se consomment en infusion et quotidiennement (pendant deux à trois semaines).
Le gratte-cul ou églantier, d'abord. Il s'agit d'une baie rouge contenant du
poil à gratter (bien chiant au passage, il te faudra une patience sans fin pour
en extraire le nectar). Le mieux est de manger chaque jour un peu de la chair de
cette baie qui contient (comme la plupart des baies rouges) plein de vitamine C.
Tu peux aussi la sécher et en consommer par infusion. Considère la baie
d'églantier comme le pendant européen de la baie de gogi - le prix exorbitant en
moins, le poil à gratter en plus...
Toujours au rayon vitamine C, intéresse-toi aussi à la sisymphe et au serpolet ;
ces deux plantes en contiennent plein. Mais si tu souffres d'un manque de fer,
alors récolte plutôt de la gentiane bleue. Il s'agit d'une fleur splendide, d'un
bleu éclatant et sombre à la fois, qui pousse en hauteur (il faudra aller faire
un tour à la montagne cet été). Enfin, citons encore la prêle, célèbre pour ses
effets reminéralisants. Elle pousse dans les terrains humides, le long des cours
d'eau, et se ramasse de la mi-printemps jusqu'à la fin de l'été. Tu ne peux pas
la rater : elle ressemble à une plante déguisée en porc-épic.
VERRUCIDE
Il existe une plante si efficace en la matière qu'elle est appelée « herbe à
verrue » (son nom scientifique est « chélidoine »). En plus, elle pousse un peu
partout. Ça tombe bien, car elle ne se conserve pas par séchage : il faut la
couper à chaque fois que tu en as besoin et extraire sa sève orange. Applique
cette dernière deux fois par jour. Et sois patient – la sève sèche la verrue, ça
ne se fait pas en deux jours...
BAUME CONTRE LES ÉTATS GRIPAUX
Cette fois, tu vas utiliser du romarin (récolté à floraison pour conserver un
maximum de ses qualités) et des feuilles d'eucalyptus (si tu as eu la chance
d'aller voir le soleil du Sud) ; tu peux aussi remplacer ces dernières par du
thym fleuri. Réalise un macérât huileux avec ces plantes, puis transforme-le en
baume en ajoutant 12 % de cire d'abeille (mélangée au bain-marie). Tu peux
tricher en rajoutant de cinq à dix gouttes (selon ta quantité de macérât)
d'huile essentielle de ravintsara – à chourer dans certains Biocoop ou dans des
magasins de bobo genre Nature et Découvertes... Et voilà, tu as désormais ton
propre baume contre les états grippaux ; n'hésite pas à t'en badigeonner le
plexus, la poitrine et le dos.
Voilà un petit extrait de l'univers des plantes médicinales. Quelques bases qui
peuvent constituer une trousse de secours. De quoi te détourner de la croix
verte qui te nargue en clignotant et vient ponctionner les larfeuilles suite à
une visite chez un médecin qui n'y comprend pas grand-chose ou qui n'a pas
vraiment cherché à comprendre...
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